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Page:Niemcewicz - Notes sur ma captivité à Saint-Pétersbourg.djvu/84

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ITINÉRAIRE DES CAPTIFS

même étaient dispersés, il ne perdait pas son temps, mais battait les chevaux. Ce ne fut pas le moindre de nos tourments que d’être témoins journaliers de toutes ces cruautés. Hélas ! que de fois, pour prix de l’hospitalité, des attentions, de l’intérêt que des braves gens nous témoignaient, ils ne reçurent que des injures et des coups ! C’est vraiment au pied de la lettre que partout nos traces étaient marquées de sang et de larmes.

Cependant nous découvrions les cinq coupoles dorées de la basilique de Kiow ; mais on se garda bien de nous laisser traverser cette ancienne capitale de la Russie. Les ordres étaient de ne s’arrêter avec nous dans aucune grande ville, et de nous mener le plus incognito possible. Nous perdîmes au moins trois heures avant de pouvoir traverser le Dnieper ou Borysthène ; on nous conduisit ensuite de l’autre côté de ce fleuve, dans la maison d’un pope ou curé de village. Titow resta à Kiow et y passa toute la journée. Il y a sous la basilique de Kiow des catacombes ou souterrains, nommés en russe Pieczary ; soixante et dix corps de saints ou martyrs russes y tiennent leur résidence. Ces squelettes noirs et desséchés sont revêtus de riches habits pontificaux. Dans mon voyage de Kiow, en 1786, j’avais visité ces soi-disant reliques. Le concours du peuple y est prodigieux : c’est la Mecque des Russes ; et un Moscovite douterait de son