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Page:Niemcewicz - Notes sur ma captivité à Saint-Pétersbourg.djvu/90

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ITINÉRAIRE DES CAPTIFS

province enlevée à la Pologne dans le premier partage de 1773. Depuis Homel, nous traversâmes une étendue de pays de vingt lieues qui avait appartenu autrefois au prince Radziwill, et que la magnanime Catherine avait confisquée : elle en a prit presque autant au grand général Oginski. La majeure partie de ces domaines resta au trésor ; quelques biens furent donnés à des Russes, entre autres à Romanzow. Nous traversâmes encore une fois le Dnieper à Mohilew, autrefois domaine royal, aujourd’hui siège du gouvernement de ce nom. En changeant de chevaux devant la maison de poste, nous vîmes une grande foule attroupée autour de notre voiture : c’était plutôt l’intérêt, la compassion, qu’une vaine curiosité qui l’amenait à nous voir. J’y remarquai un vieux Polonais portant l’habit national, et dont je n’oublierai jamais la figure. Il paraissait avoir soixante et dix ans ; il était grand, maigre ; il avait un nez aquilin, beaucoup de noblesse et de sensibilité dans les traits, et un regard où se peignait la sympathie la plus vive pour nous. Il garda longtemps le silence ; puis, ne pouvant plus contenir sa douleur, il courut vers nous en fondant en larmes, lorsque l’impitoyable major parut armé de son fouet, et le vieillard eut à peine le temps de s’éloigner. Le lendemain, nous couchâmes à Szklow : c’est une ville très-commerçante que le prince Czarto-