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Page:Nietzsche - Aurore.djvu/152

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AURORE

mais ils ne furent eux-mêmes que des échos, — ces doctrines ont surgi partout en même temps, sous des formes subtiles ou grossières, avec une vitalité extraordinaire, depuis l’époque de la Révolution française à peu près, et tous les systèmes socialistes se sont placés comme involontairement sur le terrain commun de ces doctrines. Il n’existe peut-être pas aujourd’hui de préjugé plus répandu que celui de croire que l’on sait ce qui constitue véritablement la chose morale. Chacun semble maintenant entendre avec satisfaction que la société est en train d’adapter l’individu aux besoins généraux, et que c’est en même temps le bonheur et le sacrifice de chacun de se considérer comme membre utile et comme instrument d’un tout : cependant on hésite encore beaucoup en ce moment pour savoir où il faut chercher ce tout, si c’est dans l’ordre établi ou dans un ordre à fonder, si c’est dans la nation ou dans la fraternité des peuples, ou encore dans de nouvelles petites communautés économiques. Il y a maintenant, à ce sujet, beaucoup de réflexions, d’hésitations, de luttes, beaucoup d’excitation et de passion : mais singulière et unanime est l’harmonie dans l’exigence que l’ego doit s’effacer jusqu’à ce qu’il reçoive de nouveau, sous forme d’adaptation au tout, son cercle fixe de droits et de devoirs, — jusqu’à ce qu’il soit devenu quelque chose de nouveau et de tout différent. On ne veut rien moins — qu’on se l’avoue ou non — qu’une transformation foncière, qu’un affaiblissement même, qu’une suppression de l’individu : on ne se fatigue point d’énumérer et d’accuser tout ce qu’il y a de mauvais, d’hostile,