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Page:Nietzsche - Aurore.djvu/162

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AURORE

rale de la pitié est une morale plus haute que celle du stoïcisme ? Prouvez-le, mais remarquez-bien que sur ce qui est « supérieur » et « inférieur » en morale, il ne faut pas de nouveau décider selon des évaluations morales : car il n’y a pas de morale absolue. Cherchez donc ailleurs vos étalons et — prenez garde à vous !

140.

Louanges et blâme. — Si une guerre finit malheureusement on demande à qui en est la « faute » ; si elle se termine victorieusement, on loue son auteur. Partout où il y a insuccès on cherche la faute, car l’insuccès apporte avec lui un mécontentement, contre quoi l’on emploie involontairement le seul remède : une nouvelle excitation du sentiment de puissance — et cette excitation se trouve dans la condamnation du « coupable ». Ce coupable n’est pas, comme on pourrait le croire, le bouc émissaire pour la faute des autres : il est la victime des faibles, des humiliés, des abaissés qui veulent se prouver, sur n’importe quoi, qu’ils ont encore de la force. Se condamner soi-même peut aussi être un moyen pour se procurer, après la défaite, le sentiment de la force. — Par contre, la glorification de l’auteur est souvent le résultat tout aussi aveugle d’un autre instinct qui veut avoir sa victime — et, dans ce cas, le sacrifice paraît même doux et séduisant pour la victime : — cela arrive lorsque le sentiment de puissance est comblé chez un peuple, dans une société, par un succès si grand et si pres-