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Page:Nietzsche - Aurore.djvu/220

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AURORE

surprises. Une culture noble peut ressembler, pour ce qui en est de la passion, soit à un cavalier qui éprouve du plaisir à faire marcher une bête ardente et fière au pas espagnol — que l’on se représente l’époque de Louis XIV — soit encore à un cavalier qui sent que sa monture s’élance sous lui comme une force de la nature, et qu’ils ne sont pas loin, tous deux, de perdre la tête, mais qu’ils se redressent avec fierté, jouissant de leur allure : dans les deux cas la culture noble respire la puissance et si très souvent, dans ses mœurs, elle n’exige que l’apparence du sentiment de puissance, le véritable sentiment de la supériorité grandit pourtant sans cesse par l’impression que ce jeu fait sur ceux qui ne sont point nobles et par le spectacle de cette impression. — Cet incontestable bonheur de la culture noble, qui s’édifie sur le sentiment de la supériorité, commence maintenant à monter à un degré supérieur encore, parce que, grâce à tous les esprits libres, il est dès lors permis et il n’est plus déshonorant, de pénétrer dans l’ordre de la connaissance pour y chercher des consécrations plus intellectuelles, y apprendre une courtoisie supérieure, permis de regarder vers cet idéal de la sagesse victorieuse que nulle époque ne put encore dresser devant elle, avec une si bonne conscience que l’époque qui veut s’ouvrir. Et, en fin de compte, de quoi s’occuperait dès lors la noblesse, s’il apparaît de jour en jour plus clairement qu’il est indécent de s’occuper de politique ?