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Page:Nietzsche - Aurore.djvu/402

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AURORE

morale de ses disciples, et qu’il faut s’y livrer dorénavant avec une idée directrice plus haute et plus généreuse. « Qu’importe de moi ! » — Voilà ce qui se trouve écrit sur la porte des penseurs futurs.

548.

La victoire sur la force. — Si l’on considère tout ce qui a été vénéré jusqu’à présent sous le nom d’ « esprit surhumain », de « génie », on arrive à la triste conclusion que, dans son ensemble, l’intellectualité humaine a dû être quelque chose de très bas et de très pauvre : tant il fallut peu d’esprit pour se sentir considérablement supérieur à elle ! Qu’est-ce que la gloire facile du « génie » ? Son trône est si vite atteint ! son adoration est devenue un usage ! On adore toujours la force à genoux — selon la vieille habitude des esclaves — et pourtant, lorsqu’il faut déterminer le degré de vénérabilité, le degré de raison dans la force est seul déterminant : il faut évaluer en quelle mesure la force a été surmontée par quelque chose de supérieur, à quoi elle obéit dès lors comme instrument et comme moyen ! Mais pour de pareilles évaluations il y a encore trop peu d’yeux, on va même jusqu’à considérer comme un blasphème l’évaluation du génie. Ce qui fait que ce qu’il y a de plus beau se passe peut-être toujours dans l’obscurité et, à peine né, s’effondre dans la nuit éternelle — je veux dire le spectacle de cette force qu’un génie emploie, non à des œuvres, mais au développement de soi-même, en tant qu’œuvre, c’est-à-dire à la