Aller au contenu

Page:Nietzsche - Aurore.djvu/411

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
411
AURORE

558.

Il ne faut pas non plus cacher ses vertus ! — J’aime les hommes qui sont comme l’eau transparente et qui, pour parler avec Pope, « laissent voir les impuretés qui gisent au fond de leur flot ». Même pour eux il y a encore une vanité, il est vrai qu’elle est d’espèce rare et sublime : quelques-uns d’entre eux veulent que l’on ne voie que les impuretés et que l’on ne tienne point compte de la transparence de l’eau qui rend cette vue possible. Boudda lui-même a imaginé la vanité de ce petit nombre dans la formule : « Laissez voir vos péchés devant le monde et cachez vos vertus ! » C’est là donner au monde un vilain spectacle, — c’est un péché contre le goût.

559.

« Rien de trop ! » — Combien souvent on conseille à l’individu de se fixer un but qu’il ne peut pas atteindre et qui est au-dessus de ses forces, pour qu’il atteigne du moins ce que peuvent rendre ses forces sous la plus haute pression. Mais cela est-il vraiment si désirable ? Les meilleurs hommes qui vivent selon ce principe et les meilleurs actes ne prennent-ils pas quelque chose d’exagéré et de contourné, justement parce qu’il y a en eux trop de tension ? Un sombre voile d’insuccès ne s’étend-il pas sur le monde par le fait que l’on voit toujours des athlètes en lutte, des gestes énormes et nulle part un vainqueur couronné et joyeux de sa victoire ?