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Page:Nietzsche - Aurore.djvu/76

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AURORE

peuple qui a pratiqué la fantaisie du sublime moral plus haut que tout autre peuple et qui a seul réuni la création d’un Dieu saint, avec l’idée du péché considéré comme manquement à cette sainteté. Saint Paul était devenu à la fois le défenseur fanatique et le garde d’honneur de ce Dieu et de sa loi. Sans cesse en lutte et aux aguets contre les transgresseurs de cette loi et contre ceux qui la mettaient en doute, il était dur et impitoyable pour eux et disposé à les punir de la façon la plus rigoureuse. Et voici qu’il fit l’expérience sur sa propre personne qu’un homme tel que lui — violent, sensuel, mélancolique, comme il l’était, raffinant la haine — ne pouvait pas accomplir cette loi ; bien plus, et ce qui lui parut le plus étrange : il s’aperçut que son ambition effrénée était continuellement provoquée à l’enfreindre et qu’il lui fallait céder à cet aiguillon. Qu’est-ce à dire ? Était-ce bien « l’inclination charnelle » qui, toujours à nouveau, le forçait à transgresser la loi ? N’était-ce pas plutôt, comme il s’en douta plus tard, derrière cette inclination, la loi elle-même qui se trouvait ainsi, forcément, inaccomplissable, poussant sans cesse à l’infraction, avec un charme irrésistible ? Mais en ce temps-là il ne possédait pas encore cette échappatoire. Peut être avait-il sur la conscience, ainsi qu’il le fait entrevoir, la haine, le crime, la sorcellerie, l’idolâtrie, la luxure, l’ivrognerie, le plaisir dans la débauche et dans l’orgie — et quoi qu’il puisse faire pour soulager cette conscience et, plus encore, son désir de domination, par l’extrême fanatisme qu’il mettait dans la défense et la vénération de la loi, il avait des mo-