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Page:Nietzsche - Humain, trop humain (1ère partie).djvu/128

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HUMAIN, TROP HUMAIN


admettre aussi presque toutes les manifestations de l’égoïsme dit immoral : on fait mal, on vole ou on tue pour se conserver ou pour se garantir, pour prévenir une infortune personnelle ; on ment lorsque la ruse et les détours sont le vrai moyen de satisfaire à l’instinct de conservation. Nuire à dessein, quand il s’agit de notre existence ou de notre sécurité (conservation de notre bien-être) est admis comme moral ; l’État lui-même nuit au même point de vue, quand il prononce une peine. Ce ne peut naturellement pas être dans l’action de nuire à son insu que réside l’immoralité : là, c’est le hasard qui règne. Y a-t-il donc une espèce d’action de nuire à dessein où il ne s’agisse pas de notre existence, de la conservation de notre bien-être ? Y a-t-il une manière de nuire à dessein par méchanceté pure, par exemple dans la cruauté ? Si l’on ne sait pas le mal que fait son acte, ce n’est pas un acte de méchanceté ; ainsi l’enfant à l’égard de l’animal n’est pas pervers, n’est pas méchant : il l’éprouve et le détruit comme son joujou. Mais sait-on jamais pleinement le mal qu’un acte fait à autrui ? La limite où s’étend l’action de notre système nerveux est celle où nous nous garons de la douleur : si elle s’étendait plus loin, jusque dans nos semblables, nous ne ferions de mal à personne (sauf dans les cas où nous nous en faisons à nous-mêmes, où par exemple nous nous taillons pour notre guérison, nous nous fatiguons et faisons des