du phénomène en question. L’homme a conscience
de certaines actions qui sont au bas de l’échelle habituelle des actions, même il découvre en lui un penchant à des actions de ce genre, qui lui paraît
presque aussi immuable que tout son être. Qu’il
aimerait à s’essayer dans cette autre sorte d’actions, qui sont reconnues dans l’estime générale
pour les plus hautes et les plus grandes, qu’il aimerait à se sentir plein de la bonne conscience que
doit donner une pensée désintéressée ! Mais, par
malheur, il en reste à ce vœu : le mécontentement
de ne pouvoir le satisfaire s’ajoute à toutes les autres sortes de mécontentements qu’ont éveillées en
lui son lot d’existence ou les conséquences de ces
actions, dites mauvaises ; en sorte qu’il s’ensuit un
profond malaise, où l’on cherche du regard un médecin, qui serait capable de supprimer cette cause
et toutes les autres. — Cette situation ne serait pas
ressentie avec tant d’amertume si l’homme ne se
comparait qu’avec d’autres hommes impartialement :
alors certes il n’aurait pas de raison d’être spécialement mécontent de soi, il porterait simplement
sa part du fardeau général de mécontentement et
d’imperfection humaine. Mais il se compare avec un
être, censé capable seulement de ces actions appelées non égoïstes, et vivant dans la conscience
perpétuelle d’une pensée désintéressée, avec Dieu ;
c’est parce qu’il se regarde en ce clair miroir que
son être lui apparaît si sombre, si bizarrement dé-
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HUMAIN, TROP HUMAIN