Aller au contenu

Page:Nietzsche - Humain, trop humain (1ère partie).djvu/163

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
161
HUMAIN, TROP HUMAIN


du phénomène en question. L’homme a conscience de certaines actions qui sont au bas de l’échelle habituelle des actions, même il découvre en lui un penchant à des actions de ce genre, qui lui paraît presque aussi immuable que tout son être. Qu’il aimerait à s’essayer dans cette autre sorte d’actions, qui sont reconnues dans l’estime générale pour les plus hautes et les plus grandes, qu’il aimerait à se sentir plein de la bonne conscience que doit donner une pensée désintéressée ! Mais, par malheur, il en reste à ce vœu : le mécontentement de ne pouvoir le satisfaire s’ajoute à toutes les autres sortes de mécontentements qu’ont éveillées en lui son lot d’existence ou les conséquences de ces actions, dites mauvaises ; en sorte qu’il s’ensuit un profond malaise, où l’on cherche du regard un médecin, qui serait capable de supprimer cette cause et toutes les autres. — Cette situation ne serait pas ressentie avec tant d’amertume si l’homme ne se comparait qu’avec d’autres hommes impartialement : alors certes il n’aurait pas de raison d’être spécialement mécontent de soi, il porterait simplement sa part du fardeau général de mécontentement et d’imperfection humaine. Mais il se compare avec un être, censé capable seulement de ces actions appelées non égoïstes, et vivant dans la conscience perpétuelle d’une pensée désintéressée, avec Dieu ; c’est parce qu’il se regarde en ce clair miroir que son être lui apparaît si sombre, si bizarrement dé-