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Page:Nietzsche - Humain, trop humain (1ère partie).djvu/404

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HUMAIN, TROP HUMAIN

mence à périr, le fondement de l’État sera aussi ébranlé. La croyance à un ordre divin des choses politiques, à un mystère dans l’existence de l’État, est d’origine religieuse : la religion disparaît-elle, l’État perdra inévitablement son antique voile d’Isis et n’éveillera plus le respect. La souveraineté du peuple, vue de près, servira à faire évanouir jusqu’à la magie et la superstition dernière dans le domaine de ces sentiments ; la démocratie moderne est la forme historique de la décadence de l’État. — La perspective qu’ouvre cette décadence certaine n’est pas d’ailleurs à tous égards malheureuse : l’habileté et l’intérêt des hommes sont de toutes leurs qualités les mieux formées ; quand l’État ne répondra plus aux exigences de ces forces, ce ne sera pas le moins du monde le chaos qui lui succédera, mais une invention mieux appropriée encore que n’était l’État triomphera de l’État. De même que l’humanité a déjà vu périr bien des puissances organisatrices : — par exemple celles de la communauté de race, laquelle fut pendant des milliers d’années beaucoup plus puissante que celle de la famille, qui même très longtemps avant l’existence de celle-ci s’exerçait et commandait déjà. Nous voyons nous-mêmes l’importante idée du droit et du pouvoir de la famille, autrefois dominante dans toute l’étendue du monde romain, s’en aller devenant de jour en jour plus pâle et plus faible. Ainsi une race future verra l’État perdre de son