même que tous les styles d’art sont imités les uns
à côté des autres, de même aussi tous les degrés
et les genres de moralité, de coutumes, de civilisations.
— Une pareille époque tient sa signification
de ce qu’en elle les diverses conceptions du monde,
coutumes, civilisations, peuvent être comparées et
vécues les unes à côté des autres ; ce qui jadis, lors
de la domination toujours localisée de chaque civilisation,
n’était pas possible, par suite du rattachement
de tous les genres de style artistique au
lieu et au temps. Aujourd’hui un accroissement
du sentiment esthétique décidera définitivement
entre tant de formes qui s’offrent à la comparaison :
elle laissera périr la plupart — à savoir toutes celles
qui seront repoussées par ce sentiment. De même
il y a lieu maintenant à un choix dans les formes
et les habitudes de la moralité supérieure, dont le
but ne peut être autre que l’anéantissement des
moralités inférieures. C’est l’âge de la comparaison !
C’est son orgueil, — mais fort justement aussi
son malheur. Ne nous effrayons pas de ce malheur !
Faisons-nous plutôt du devoir que nous impose cet
âge une idée aussi grande que nous le pouvons :
ainsi la postérité nous bénira, — une postérité qui
se saura aussi supérieure aux civilisations originales
de peuples fermées qu’à la civilisation de la comparaison,
mais regardera avec reconnaissance les
deux sortes de civilisation comme de respectables
antiquités.
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HUMAIN, TROP HUMAIN