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Page:Nietzsche - La Généalogie de la morale.djvu/109

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entre créancier et débiteur : ici la personne s’opposa pour la première fois à la personne, se mesurant de personne à personne. On n’a pas trouvé de degré de civilisation, si rudimentaire soit-il, où l’on ne remarquât déjà quelque chose de la nature de ces relations. Fixer des prix, estimer des valeurs, imaginer des équivalents, échanger — tout cela a préoccupé à un tel point la pensée primitive de l’homme qu’en un certain sens ce fut la pensée même : c’est ici que la plus ancienne espèce de sagacité a appris à s’exercer, c’est ici encore que l’on pourrait soupçonner le premier germe de l’orgueil humain, son sentiment de supériorité sur les autres animaux. Peut-être le mot allemand « Mensch » (manas) exprime-t-il encore quelque chose de ce sentiment de dignité : l’homme se désigne comme l’être qui estime des valeurs, qui apprécie et évalue, comme « l’animal estimateur par excellence ». L’achat et la vente avec leurs corollaires psychologiques sont antérieurs même aux origines de n’importe quelle organisation sociale : de la forme la plus rudimentaire du droit personnel, le sentiment naissant de l’échange, du contrat, de la dette, du droit, de l’obligation, de la compensation s’est transporté après coup sur les com-