Aller au contenu

Page:Nietzsche - Par delà le bien et le mal.djvu/26

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
26
PAR DELÀ LE BIEN ET LE MAL

période innocente et riche, où chanta la fée maligne du romantisme, alors que l’on ne savait pas encore distinguer entre « découvrir » et « inventer » ! On découvrit avant tout une faculté pour les choses « transcendantes ». Schelling la baptisa du nom d’intuition intellectuelle et vint ainsi au-devant des désirs les plus intimes de ses Allemands remplis d’envies pieuses. On ne peut faire de plus grand tort à tout ce mouvement impétueux et enthousiaste qui était de la jeunesse, bien qu’il s’affublât audacieusement d’un manteau d’idées grises et séniles, qu’en le prenant au sérieux, qu’en le traitant même avec indignation morale. Bref, on devint plus vieux, — et le rêve s’envola. Il vint un temps où l’on se mit à se frotter le front. On se le frotte encore. On avait rêvé. Avant tout et en premier lieu le vieux Kant. « Au moyen d’une faculté », avait-il dit, voulut-il dire tout au moins. Mais, est-ce bien là une réponse ? Une explication ? Ou plutôt, n’est-ce pas la répétition de la question ? Comment l’opium fait-il dormir ? « Au moyen d’une faculté », la virtus dormitiva, — répondit ce médecin de Molière,

Quia est in eo virtus dormitiva,
cujus est natura sensus assoupire.

Mais de pareilles réponses conviennent à la comédie, et il est enfin temps de remplacer la question de Kant : « Comment les jugements synthétiques