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Page:Nietzsche - Par delà le bien et le mal.djvu/263

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PEUPLES ET PATRIES

n’est que trop souvent réalisée en Allemagne : allez donc vivre quelque temps parmi les Souabes ! La lourdeur du savant allemand, son manque de délicatesse sociale, s’allie déplorablement bien avec une acrobatie mentale et une audace dans l’agilité devant lesquelles tous les dieux ont appris la crainte. Voulez-vous voir l’« âme allemande » grande étalée ? jetez un coup d’œil sur le goût allemand, l’art allemand, les mœurs allemandes. Quelle indifférence de rustre à l’égard de toute espèce de « goût » ! Quel côtoiement de ce qu’il y a de plus noble avec ce qu’il y a de plus vulgaire ! Quel désordre et quelle richesse dans toute l’économie de cette âme ! L’Allemand traîne son âme, il traîne longuement tout ce qui lui arrive. Il digère mal les événements de sa vie, il n’en finit jamais ; la profondeur allemande n’est souvent qu’une « digestion » pénible et languissante. Et de même que tous les malades chroniques, tous les dyspeptiques, ont une propension au bien-être, ainsi l’Allemand aime la « franchise » et la « droiture » : il est si commode d’être franc et droit ! Le plus dangereux et le plus habile déguisement dont soit capable l’Allemand, c’est peut-être ce qu’il y a de candide, d’avenant, de grand ouvert dans « l’honnêteté » allemande ; c’est peut-être là son méphistophélisme propre, et il saura encore en tirer parti ! L’Allemand se laisse aller, regarde de ses yeux allemands limpides, bleus et vides, — et aussitôt l’étranger ne