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Page:Nietzsche - Par delà le bien et le mal.djvu/266

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PAR DELÀ LE BIEN ET LE MAL

trop peu délicate, trop peu de la musique pour compter ailleurs qu’au théâtre, devant la foule ; elle fut de suite une musique de second ordre, dont les vrais musiciens ne tinrent pas compte. Autre chose fut Félix Mendelssohn, ce maître alcyonien, qui dut à son âme plus légère, plus pure, plus heureuse, d’être vite admiré, puis vite oublié : ce fut le bel intermède de la musique allemande. Quant à Robert Schumann, qui prit au sérieux sa tâche, et qui tout de suite fut pris au sérieux — il est le dernier qui ait fondé une école, — ne jugeons-nous pas tous aujourd’hui que c’est un bonheur, un allégement, une délivrance d’avoir enfin dépassé ce romantisme schumannien ? Ce Schumann réfugié dans la « Suisse saxonne » de son âme, ce Schumann, à demi Werther, à demi Jean-Paul, — certes il n’a rien de Beethoven, ni rien de Byron ; — sa musique pour Manfred est une maladresse et un contresens qui passent ce qui est permis, — ce Schumann avec son goût à lui, goût médiocre en somme (je veux dire sa propension au lyrisme silencieux, et à l’effusion attendrie et débordante, propension dangereuse en Allemagne), ce Schumann aux allures toujours obliques, sans cesse effarouchées, en retraite et en recul, cette âme noble et sensible, sans cesse brûlante d’un bonheur ou d’une souffrance impersonnels, cette âme de petite fille, noli me tangere de naissance ; — ce Schumann était déjà, en musique,