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Page:Nietzsche - Par delà le bien et le mal.djvu/268

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PAR DELÀ LE BIEN ET LE MAL

leur succession, tendres et riches, elles se colorent et se transforment : lequel parmi les Allemands qui lisent des livres est assez homme de bonne volonté pour reconnaître des devoirs et des exigences de cet ordre, pour prêter l’oreille à un tel art d’intentions dans le langage ? Bref, « l’oreille » manque pour de telles choses et l’on n’entend pas les plus violents contrastes du style et la plus subtile maîtrise est gaspillée comme devant des sourds. — Ce furent là mes pensées en remarquant comme on confondait, grossièrement et sans s’en douter, deux maîtres dans l’art de la prose, dont l’un laisse tomber les mots goutte à goutte, froidement et avec hésitation, comme si ces mot filtraient de la voûte d’une caverne humide — il compte sur leur sonorité et leur assonance, — dont l’autre se sert de sa langue comme d’une épée flexible, sentant courir depuis son bras jusqu’aux orteils la joie dangereuse de la lame tremblante et tranchante, qui voudrait mordre, siffler et couper. —

247.

Le fait que ce sont précisément nos bons musiciens qui écrivent mal montre combien le style allemand a peu de rapport avec l’harmonie et l’oreille. L’Allemand ne lit pas à voix haute, il ne lit pas pour l’oreille, mais seulement avec les yeux : il a escamoté ses oreilles. L’homme de l’antiquité lorsqu’il lisait — cela arrivait assez rarement, —