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Page:Nietzsche - Par delà le bien et le mal.djvu/285

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PEUPLES ET PATRIES

mal. De temps en temps seulement passerait peut-être sur elle une nostalgie de matelot, des ombres dorées et de molles faiblesses : ce serait un art qui verrait fuir vers lui, venues des grands lointains, les mille teintes du couchant d’un monde moral devenu presque incompréhensible et qui serait assez hospitalier et assez profond pour recevoir ces fugitifs attardés.

256.

Grâce aux divisions morbides que la folie des nationalités a mises et met encore entre les peuples de l’Europe, grâce aux politiciens à la vue courte et aux mains promptes qui règnent aujourd’hui avec l’aide du patriotisme, sans soupçonner à quel point leur politique de désunion est fatalement une simple politique d’entr’acte, — grâce à tout cela, et à bien des choses encore qu’on ne peut dire aujourd’hui, on méconnaît ou on déforme mensongèrement les signes qui prouvent de la manière la plus manifeste que l’Europe veut devenir une. Tous les hommes un peu profonds et d’esprit large qu’a vus ce siècle ont tendu vers ce but unique le travail secret de leur âme : ils voulurent frayer les voies à un nouvel accord et tentèrent de réaliser en eux-mêmes l’Européen à venir ; s’ils appartinrent à une patrie, ce ne fut jamais que par les régions superficielles de leur intelli-