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Page:Nietzsche - Par delà le bien et le mal.djvu/289

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PEUPLES ET PATRIES

Richard Wagner a créé de plus surprenant, sera-t-il à tout jamais insaisissable, incompréhensible, inimitable pour toute la race latine si tardive : je veux dire la figure de Siegfried, de cet homme très libre, beaucoup trop libre, peut-être, et trop rude, et trop joyeux et trop bien portant, et trop anti-catholique pour le goût de peuples très vieux et très civilisés. Peut-être même ce Siegfried anti-latin fut-il un péché contre le romantisme ; mais ce péché, Wagner l’a racheté largement dans sa triste et confuse vieillesse lorsque, anticipant sur une mode qui est devenue depuis une politique, il s’est mis, avec toute sa véhémence religieuse, à prêcher aux autres, sinon à entreprendre lui-même, le chemin qui mène à Rome. Pour qu’on ne se méprenne pas sur ces dernières paroles, je veux m’aider de quelques rimes savoureuses, qui feront deviner, même aux oreilles les plus grossières, ce que je veux, — en quoi j’en veux au « Wagner de la dernière période » et à sa musique de Parsifal :

          — Est-ce encore allemand ? —
C’est des cœurs allemands qu’est venu ce lourd hurlement
Et ce sont les corps allemands qui se mortifient ainsi ?
Allemandes sont ces mains tendues de prêtres bénissants,
Cette excitation des sens à l’odeur d’encens !
Et allemands ces heurts, ces chutes et ces vacillements,
          Ces incertains bourdonnements ?
Ces œillades de nonnes, ces Ave, ces bim-bams !
Ces extases célestes, ces faux ravissements,