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Page:Noailles - Les Éblouissements, 1907.djvu/313

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CRÉPUSCULE DANS LES JARDINS


Quelle ardeur à presser, en pleurant, sur sa bouche,
Ce parfum qui languit, qui tombe, qui se couche.
Que de bruits humbles,doux,qu’on prenait dans son sein ;
Un crapaud, en sautant, regagnait le bassin,
Le jardin tout entier était la poésie
De l’Europe, des Amériques, de l’Asie. ..
Et le cœur puéril, et l’esprit innocent
Sentaient l’instinct brûlant s’éveiller dans le sang ;
Hagard, désespéré, haletant, volontaire,
L’enfant cherchait le sens immense de la terre,
Il regardait, craintif, écoutait, inquiet,
Ce que veut la senteur du lis et de l’ceillet,
Ce que veut la torride et bleuâtre buée
Qui s’exhalant du sol monte vers la nuée,
Ce que veut, dans le soir aux aromes stridents,
La palpitation des insectes ardents,
Et, subissant la loi qui va jusqu’aux étoiles,
Recevant le pollen du monde dans ses moelles,
Il mourait de sentir s’attacher à son corps
La flèche d’un désir confus, secret encor ;
Du désir mol, épars, saturé de tristesse,
Qui brûle par l’odeur et par le vent caresse,
Qui veille dans la fleur, qui tremble dans l’oiseau,
Qui gonfle l’azur tiède et limpide de l’eau,
Qui surprend la candeur et fait peser sur elle
L’empire illimité de l’ardeur sensuelle,
Et qui courbe un enfant, prêt à s’évanouir,
Sur la tâche du vague et fécond avenir...