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Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/106

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mier sentiment de bienveillance qu’il vit jaillir de mes regards, il courut à ce nouvel ami. — Qui nous expliquera l’entraînement de l’être le plus généreux de la nature vers l’être le plus infortuné, du chien vers l’aveugle ? Ô Providence ! je suis donc le seul de vos enfants que vous ayez abandonné !…

Le jeune homme passa ses doigts dans les longues soies de Puck, en lui souriant avec candeur. — D’où me connois-tu, lui dit-il, toi qui n’es pas de la vallée ? J’avois un chien aussi folâtre et peut-être aussi joli que toi ; mais c’étoit un barbet à la laine crépue, — il m’a quitté comme les autres, mon dernier ami, mon pauvre Puck !…

— Hasard étrange ! votre chien s’appeloit comme le mien…

— Ah ! monsieur, me dit le jeune homme, en se soulevant penché sur son bâton de cytise, pardonnez à mon infirmité…

— Asseyez-vous, mon ami ! Vous êtes aveugle ?

— Aveugle depuis l’enfance.

— Vous n’avez jamais vu ?

— J’ai vu, mais si peu ! J’ai cependant quelque souvenir du soleil, et quand j’élève mes yeux vers la place qu’il doit occuper dans le ciel, j’y crois voir rouler un globe qui m’en rappelle la couleur. J’ai mémoire aussi du blanc de la neige et de l’aspect de nos montagnes.

— C’est donc un accident qui vous a privé de la lumière ?

— Un accident qui fut, hélas ! le moindre de mes malheurs ! J’avois à peine deux ans qu’une avalanche descendue des hauteurs de la Flégère écrasa notre petite maison. Mon père, qui étoit guide dans ces montagnes, avoit passé la soirée au Prieuré. Jugez de son désespoir quand il trouva sa famille engloutie par l’horrible fléau ! Secondé de ses camarades, il parvint à faire une trouée dans la neige et à pénétrer dans notre cabane, dont le