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Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/114

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ornée ; mais je puis me passer de ces richesses superflues, moi qui possède le trésor dont elles tireroient le plus de prix ; car, enfin, ton cœur est à moi, ou tu n’es pas heureuse ! — Je suis heureuse, répondit Eulalie, la plus heureuse des filles ! — Ô mes enfants, dit M. Robert en unissant nos mains tremblantes, j’espère que vous serez toujours heureux, car ma volonté ne vous séparera jamais ! — Accoutumé à nous suivre partout des soins de cette tendresse attentive que rien ne rassure assez, il s’étoit rapproché de nous sans être entendu et nous avoit entendus sans nous écouter. Je ne me croyois pas coupable, et j’étois cependant consterné. — Eulalie trembloit. — M. Robert se plaça — là — entre nous deux, car nous nous étions un peu éloignés l’un de l’autre… — Pourquoi pas, dit M. Robert, en nous enveloppant de ses bras, et en nous pressant tous les deux avec plus de tendresse encore qu’à l’ordinaire : — Pourquoi pas, en vérité ! — ne suis-je pas assez riche pour vous acheter des serviteurs — et des amis ? — Vous aurez des enfants qui remplaceront votre vieux père, car votre infirmité n’est pas héréditaire. Embrasse-moi, Gervais ; embrasse-moi bien, Eulalie ; remerciez Dieu, et rêvez à demain, car le jour qui luira demain sera beau, même pour les aveugles !

Eulalie passa des bras de son père dans les miens. Pour la première fois, mes lèvres trouvèrent les siennes. Ce bonheur étoit trop complet pour être du bonheur. Je crus que ma poitrine alloit se briser. Je souhaitai de mourir. Hélas ! je ne mourus pas !

Je ne sais, monsieur, comment est le bonheur des autres. Le mien manquoit de calme et même d’espérance. Je ne pus obtenir le sommeil, ou plutôt je ne le cherchai point, car il me sembloit que je n’aurois pas assez d’une éternité pour goûter les félicités qui m’étoient promises, et plus je cherchois à en jouir, plus elles échappoient à toutes mes pensées sous une foule d’apparences