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Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/121

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de tous ces merveilleux tableaux que la vue découvre à la pensée. Il me sembloit quelquefois que son imagination, comme une fée puissante, commençoit à dégager mon âme des ténèbres du corps, et à la ravir, éclairée de mille lumières, dans les espaces du ciel, en lui prodiguant des images gracieuses comme des parfums, des couleurs vives et pénétrantes comme les sons d’un instrument ; mais bientôt mes organes se refusoient à cette perception trompeuse, et je retombois tristement dans la morne contemplation d’une nuit éternelle. Ce funeste retour sur moi-même échappoit rarement à la sollicitude de sa tendresse ; et alors elle n’épargnoit rien pour m’en distraire. Quelquefois, c’étoient des chants qui me ramenoient par la pensée au temps où nous étions aveugles tous deux, et où elle charmoit ainsi notre solitude ; plus souvent, c’étoit la lecture qui étoit devenue pour nous une acquisition nouvelle et, singulière, quoique nous en eussions possédé le secret sous d’autres formes et par d’autres procédés, car la bibliothèque des aveugles est extrêmement bornée. Mon attention entraînée dans l’essor de sa parole perdoit son action intérieure, et je croyois vivre dans une nouvelle vie que je n’avois encore ni devinée ni comprise ; dans une vie d’imagination et de sentiment, où je ne sais quels êtres d’invention, moins étrangers à moi que moi-même, venoient surprendre et charmer toutes les facultés de mon cœur. Quelle vaste région de pensées magnifiques et de méditations touchantes s’ouvre à l’être favorisé qui a reçu du ciel des organes pour lire, et une intelligence pour comprendre ! Tantôt c’étoit un passage de la Bible, comme le discours du Seigneur à Job, qui me confondoit d’admiration et de respect ; ou comme l’histoire de Joseph et de ses frères, qui plongeoit mon cœur dans une tendre émotion de pitié ; tantôt c’étoient les miracles de l’épopée, avec la naïveté presque divine d’Homère, ou avec la religieuse solennité de Milton. Nous