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Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/152

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nesse. Tu vas donc toi-même prendre possession de ces biens, à supposer qu’ils existent réellement, dans les vastes souterrains sur lesquels mon manoir est bâti. Seulement, je te supplie, au nom de la reconnoissance que tu me témoignois tout à l’heure, et que tu dois réserver plus particulièrement au souverain auteur de toutes choses, de me laisser pour ma part les trésors enfouis sous le sol de mon jardin, non pas que j’imagine qu’ils puissent être plus considérables que les premiers, mais parce qu’on ne pourrait les extraire sans détruire les plantations dont je tire ma nourriture, et les fleurs que je cultive pour le plaisir de mes yeux. Dieu me préserve de sacrifier jamais, à la folle envie d’entasser dans mes coffres le métal corrupteur qui engendre tous nos maux, le parfum d’une seule rose ! »

Après avoir prononcé ces paroles, Abou-Bedil se retira dans ses bains, car c’étoit l’heure des ablutions.

Quant à moi, je fis appeler des ouvriers, je les conduisis dans les souterrains, et je leur ordonnai de les dépaver sous mes yeux dans toute leur étendue. Les lingots de l’or le plus pur y étoient entassés en si grande quantité qu’après en avoir composé la charge de toutes les bêtes de somme qu’il fut possible de se procurer dans le pays, j’eus le regret d’en laisser presque autant que je pouvois en enlever ; mais je ne manquai pas de me faire honneur de ma modération forcée, en exagérant devant le scheick le nombre de la valeur des trésors que je lui laissois, comme s’il avoit dépendu de moi de les lui ravir. « Tu sauras donc où les retrouver, dit le vieillard en souriant, quand tu auras épuisé ceux qui t’appartiennent, car je fais vœu, sur le saint livre du Koran, de n’y toucher de ma vie. Donne maintenant à ceux qui ont travaillé sous tes ordres tout ce qu’ils auront la force d’emporter de ce métal, et commande-leur de recouvrir le reste avec toute la solidité qu’ils sont capables de mettre dans leurs ouvrages. Puisse cet or être plus pro-