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Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/161

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cœur plus lâche que la richesse. L’abominable vieillard entra sans être annoncé, s’assit sans que je l’en priasse, et, fixant sur moi ses yeux rouges de colère : « Infâme giaour ! me dit-il, tu n’as donc pas craint de lasser par tes crimes la miséricorde du calife et celle du ciel ! Non content de nous avoir dérobé la moitié de nos droits dans les trésors que tu accumules sans cesse, tu as contracté un pacte sacrilège avec les mauvais esprits pour convertir en or la plus pure substance de nos peuples bien-aimés, et jusqu’aux éléments nourriciers qui germent dans les moissons et qui mûrissent dans les fruits de la terre. De tels forfaits auroient mérité un châtiment qui étonnât le monde entier ; mais le calife, dont la bonté est infinie, adoucissant en ta faveur la rigueur de sa justice, en considération de quelque service que tu as rendu naguère au pays, et réduisant ta condamnation aux termes les plus favorables, veut bien se contenter de te faire étrangler aux prochaines fêtes de son glorieux anniversaire. La même sentence nous donnant l’investiture de tous tes biens passés et présents, provenant d’hoirie ou d’acquêts, nous daignons en prendre ici possession par-devant toi, pour que tu n’aies à en prétexter ignorance : et sur ce, gardes, qu’on le conduise hors de notre présence, aussitôt qu’il sera possible, car la vue des pervers est un supplice pour la vertu. »

Il n’y avoit rien à répondre à cette allocution, puisque mon jugement étoit prononcé. Je baissai donc humblement la tête sous le sabre des eunuques, et je me disposai à gagner la prison où j’allois attendre le jour assez prochain des exécutions solennelles. J’atteignois à peine à la porte de ma salle des cérémonies, quand la voix aigre et fêlée du grand visir vint vibrer à nos oreilles. « Holà ! dit-il, qu’on ramène ici ce misérable, et qu’on le dépouille à mes yeux des magnifiques vêtements qu’il a l’audace d’étaler jusqu’au milieu des calamités publiques que ses sortilèges ont attirées sur le pays. Le sayon