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Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/167

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serviteurs pour quelque office assez vil, dans l’espoir assuré de m’en affranchir au premier endroit où nous trouverions des femmes. Ces vallées creusées, comme vous le savez, dans les flancs du Caucase, sont malheureusement fort désertes, et nous devions arriver à Imérette sans avoir rencontré une seule tribu.

Le maître de la caravane étoit un homme fin, jovial et facétieux, qui avoit surpris sans peine le dessein de mon voyage, et qui se faisoit un malin plaisir de présenter mes espérances et mes prétentions sous un aspect ridicule : « Camarades, dit-il un jour, nous approchons du but de notre route, et nous allons nous remettre en possession de ces douces jouissances de la vie dont le désert nous a si longtemps privés : trop heureux, cependant, si l’aimable Mahoud, le séduisant prince de Fardan, daigne nous laisser quelques beautés à toucher, car vous savez qu’il sait les émouvoir, dès le premier jour, à la suite de son char victorieux. Ô beau Mahoud, que la nature a comblé de tant de grâces, refuseriez-vous d’être propice aux bons et fidèles compagnons qui ont partagé vos hasards, et n’auront-ils pas une seule amourette à glaner derrière vos riches moissons ? Assez de jolies filles fleurissent dans les délicieuses campagnes d’Imérette pour suffire à vos plans de conquêtes, sans que vous réduisiez vos amis au malheur d’aimer sans être aimés ! Il en est peu d’ailleurs parmi elles qui méritent d’être associées à une destinée telle que la vôtre, et celles-là ne doivent vous être disputées par personne. Que n’êtes-vous, hélas ! arrivé plus tôt dans le pays, quand la chute du plus puissant souverain du Caucase mit à ma disposition la princesse de Géorgie, cette adorable Zénaïb, la perle unique du monde, que je vendis l’année dernière au roi de la Chine…

— Zénaïb, princesse de Géorgie ! m’écriai-je avec enthousiasme ; car ce nom étoit pour moi une espèce de révélation merveilleuse.