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Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/192

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courut sur sa bouche pâle, et il inclina foiblement la tête en signe d’approbation. Je perdis connoissance.

Alors on me lia les pieds et les mains ; on me transporta ainsi dans une litière fermée, et on me conduisit à la maison de plaisance du médecin du roi, délicieuse villa, dont le Nil baigne l’enceinte élevée. Arrivés au terme de ce voyage fatal, les esclaves me déposèrent sur une table de cèdre qui paroissoit disposée à l’avance pour l’affreuse opération que j’allois subir, tandis que d’autres serviteurs préparoient sur une table voisine les instruments de mon supplice, des scies, des couteaux, des scalpels, des bistouris acérés, dont la vue ferait horreur à un de ces héros invulnérables que chantent les anciens poèmes de l’Arabie. J’en détournois les yeux avec une épouvante qui me brisoit le cœur, quand un pas grave et lent, qui s’imprimoit solennellement sur les degrés, m’annonça la présence de mon barbare assassin. Oh ! combien je regrettai alors que le génie maladroit qui m’avoit doué, sans mon aveu, du privilège stérile de guérir toutes les maladies des hommes, ne m’eût pas accordé en échange le pouvoir de les donner ! de quelle foudroyante apoplexie j’aurois accueilli, sans remords, le médecin du roi ! Mais je me débattis inutilement sous les convulsions de la terreur, et je retombai dans mes liens.

— Que vois-je ! s’écria-t-il en m’apercevant. Est-ce ainsi qu’on reçoit les hôtes respectables qui me font l’honneur de me visiter ! Hâtez-vous de rompre ces cordes infâmes et de nous apporter des carreaux sur lesquels nous puissions nous livrer à loisir aux douceurs d’un sage entretien. — Et toi, continua-t-il, en s’adressant à une espèce de majordome que je n’avois pas encore vu, tâche de te surpasser dans les apprêts d’un festin qui témoigne à ce noble étranger, par sa magnificence, combien je suis sensible à la gloire dont sa présence me comble aujourd’hui. Quand j’aurai affaire à vous pour