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Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/196

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bon arrangement dont je n’ai pas besoin de vous faire sentir l’urgence. Vous avez eu le temps d’y penser.

Il porta au même instant une main nonchalante sur ses bistouris, et les étala sur ses genoux avec une distraction affectée.

J’avois compris mon médecin, et je n’hésitai plus que sur les termes de la capitulation.

— Un secret pareil, lui dis-je, seroit à estimer au-dessus de tous les trésors des hommes.

— Et non pas au-dessus de la vie, reprit-il en repassant négligemment le plus horrible de ses bistouris sur une pierre à aiguiser. Il me semble qu’une jolie djerme voilière galamment équipée, qui vous transporterait cette nuit loin des terres d’Égypte, et une poignée de franches roupies de Perse qui vous donneroit de quoi vivre, en attendant une clientèle, valent mieux pour vous que l’honneur de figurer un jour dans un cabinet d’anatomie. C’est payer assez haut, selon moi, dans la position où vous êtes, la communication de quelques folles paroles que vous devez à la bienveillance d’une péri.

— Apportez-moi les roupies, repartis-je, et allons voir la djerme, si elle est prête, car j’ai hâte de voyager. Vous aurez le talisman.

Je le passai, en effet, sur son cou au moment où le patron donnoit le signal du départ. Je fis valoir avec soin les vertus incomparables de mon amulette, mais j’omis plus soigneusement encore, et pour cause, de prévenir le docteur qu’elle perdoit à l’instant son efficacité quand elle étoit tombée en d’autres mains, parce que cette circonstance malencontreuse aurait annulé un marché auquel j’avois le plus grand intérêt possible. C’est toutefois depuis ce temps-là que les médecins d’Égypte se flattent, entre ceux de toutes les nations, de guérir toutes les maladies ; mais je puis vous attester, seigneur, qu’il n’en est rien, et que les médecins de ce pays-là tuent leurs malades comme les autres.