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Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/218

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sont contagieux. Les enfants, les femmes, les malades, rêvent plus volontiers les impressions d’un rêve qui leur a été raconté que les impressions les plus vives de la vie réelle, parce qu’il y a une sympathie plus énergique entre les sensations de l’homme endormi qu’entre les sensations de l’homme éveillé, et je n’ai pas besoin d’en dire la raison aux physiologistes. Dans notre France, et dans tous les pays où j’ai pénétré par les voyages ou par l’étude, j’ai entendu dire par le peuple que la communication du rêve à jeun, c’est-à-dire tant que la perception du rêve a pu se prolonger dans l’homme éveillé, devenoit funeste à lui ou aux autres. L’idée de l’extensibilité contagieuse de la perception du sommeil n’est donc pas précisément nouvelle, puisqu’elle est vieille comme le monde. C’est une superstition sans doute, et j’en suis persuadé ; mais oserois-je vous demander quelle vérité locale n’est pas une superstition, et quelle superstition universelle n’est pas une vérité ?

Je n’ai pas la prétention de rien apprendre à personne ; mais on m’expliquerait difficilement, à moi, la propagation d’une monomanie qui n’auroit pas eu le sommeil pour intermédiaire. Tous ceux qui visitoient l’antre de Trophonius en sortoient mélancoliques ou fous, quand ils y avoient dormi.

Je descends de ces hauteurs, où la société royale de médecine ne me pardonneroit pas de m’être élevé, si le bruit de mon existence pouvoit parvenir jusqu’à elle, et je retourne à mes histoires. En voici une que Fortis racontoit dans son Voyage en Dalmatie, une dizaine d’années avant ma naissance, et que je retrouvai, quarante ans plus tard, assez différente de la sienne en quelques points de détails, pour que je dusse imaginer qu’elle s’étoit reproduite plus d’une fois. — Les sorcières ou les ujèstize du pays, plus raffinées que les vukodlacks dans leurs abominables festins, cherchent à se repaître du cœur des jeunes gens qui commencent à aimer, et à