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Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/23

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esprit. Ces innocentes créatures sont aussi tombées sous la main du bourreau.

— Seroit-il possible ! m’écriai-je… — Hélas ! je ne vous avois rien dit de Jean-François, parce que je sais que vous craignez pour moi l’influence de certaines idées mystérieuses dont il m’a entretenu… — Mais il est mort !

— Il est mort ! reprit vivement mon père ; et depuis quand ?

— Depuis trois jours, le 29 prairial. Il avoit été immobile, dès le matin, au milieu de la place, à l’endroit même où je le rencontrai, au moment de la mort de la reine. Beaucoup de monde l’entouroit à l’ordinaire, quoiqu’il gardât le plus profond silence, car sa préoccupation étoit trop grande pour qu’il pût en être distrait par aucune question. À quatre heures enfin, son attention parut redoubler. Quelques minutes après, il éleva les bras vers le ciel avec une étrange expression d’enthousiasme ou de douleur, fit quelques pas en prononçant les noms des personnes dont vous venez de parler, poussa un cri et tomba. On s’empressa autour de lui, on se hâta de le relever, mais ce fut inutilement. Il étoit mort.

— Le 29 prairial, à quatre heures et quelques minutes ? dit mon père en consultant son journal. C’est bien l’heure et le jour !… — Écoute, continua-t-il après un moment de réflexion, et les yeux fixement arrêtés sur les miens, ne me refuse pas ce que je vais te demander ! — Si jamais tu racontes cette histoire, quand tu seras homme, ne la donne pas pour vraie, parce qu’elle t’exposeroit au ridicule.

— Y a-t-il des raisons qui puissent dispenser un homme de publier hautement ce qu’il reconnoît pour la vérité ? repartis-je avec respect.

— Il y en a une qui les vaut toutes, dit mon père en secouant la tête. La vérité est inutile.