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Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/244

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voudrois bien savoir pourquoi, mes histoires réunissant tous les motifs de créance qu’on peut chercher dans les histoires, la vraisemblance des faits et la loyauté du témoin désintéressé qui les rapporte. Je vous demande en effet quel intérêt j’aurais à imaginer que le loup a mangé le Petit Chaperon, s’il ne l’avoit pas mangé ? et plût à Dieu que le loup n’eût pas mangé le Petit Chaperon, et qu’on pût me le prouver tout à l’heure, car cette peine compte encore parmi mes peines, bien que la foule y soit grande ! Ces choses-là ne s’inventent pas, et ne se disent qu’à regret quand on ne peut se dispenser de les dire pour en tirer de saines inductions morales et d’excellentes règles de conduite, comme celles qui sortent de la catastrophe du pauvre Chaperon, savoir : premièrement, qu’il ne faut jamais confier son secret aux méchants, et secondement, qu’il ne faut pas laisser sortir les petites filles toutes seules. Je voudrois qu’on me fit connoître un livre de haute philosophie ou de haute politique, solennellement couronné, qui ait porté dans les familles deux enseignements plus utiles, et qui les ait accrédités d’une manière plus universelle par un symbole plus naïf et plus populaire ! Je sais bien qu’un livre que je n’entends pas est au-dessus du Petit Chaperon de toute la hauteur insurmontable de son inintelligibilité ; mais ce livre que je n’entends pas, ne fussions-nous qu’un cinquième ou un dixième de la nation à ne pas l’entendre (et cela n’est pas très-fier), est en dehors du but providentiel de l’instruction nécessaire qui appartient à tout le monde. Dans une bonne civilisation, les gens qui

    par Tridace-Nafé Théobrome de Kaoul’ T’e’…ouk (1836). Nodier restoit fidèle dans la pratique de sa vie à son antipathie contre la perfectibilité. « Il avoit horreur, dit M. Dumas, des plumes de fer. Le gaz lui faisoit mal aux yeux ; il voyoit la fin du monde infaillible et prochaine dans la destruction des forêts et l’épuisement des mines de houille. C’est dans ses colères contre le progrès de la civilisation que Nodier étoit resplendissant de verve et foudroyant d’entrain. » (Note de l’Éditeur)