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Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/260

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Néobius, sur lequel je me suis un peu plus étendu qu’il ne convenoit à mon sujet, parce qu’il est presque inconnu, et si rare d’ailleurs, qu’il n’en existe probablement pas d’autre exemplaire que le mien. Il encourut, en effet, tout naturellement, une double censure, dès le moment où il vint à paroître au jour de la publicité : celle de l’Église, qui ne se crut pas autorisée à recevoir, sur le témoignage isolé d’un saint homme, un document supplémentaire à la révélation de l’Évangile ; et celle du pouvoir temporel qui jugeoit, peut-être avec raison, que la perspective d’un avenir si facile et si doux, en diminuant l’attrait qui nous attache à notre existence actuelle, relâcheroit au bénéfice de la vie contemplative le lien de la vie sociale. Ce danger n’existe plus aujourd’hui, ou plutôt l’excès contraire est devenu si effrayant qu’on ne sauroit trop se hâter d’y porter remède. Si la société menace de mourir bientôt, ce n’est pas l’expansion d’une sensibilité rêveuse qui la mine et qui la détruit ; ce n’est pas l’intention de pousser au delà de

    sophe désigne sous le nom d’Er l’Arménien. Er, ayant été tué dans une bataille, fut trouvé dix jours après parmi les morts dans un état parfait de conservation. Au moment où on le plaça sur le bûcher des funérailles, il revint à la vie, et raconta ce qui étoit arrivé à son âme dans les régions mytérieuses du fond desquelles elle étoit revenue. Plutarque, dans son Traité des délais de la justice divine, § 42, raconte une histoire semblable, « Succédant au matérialisme des théogonies antiques, dit un écrivain enlevé trop jeune aux lettres*, la poésie du christianisme, la poésie des temps nouveaux, put bientôt, à la suite du dogme, s’emparer de ces domaines inoccupés de la mort, et les montrer comme la future patrie à ceux qui s’oublioient dans la vie présente. » Jusqu’au sixième siècle, la vision emporta ses élus dans les régions lumineuses du ciel : plus tard, elle les emporta dans l’enfer pour effrayer par l’idée de damnation. Il y a là, jusqu’à Dante qui les résume avec toute la grandeur du génie, une suite non interrompue de véritables épopées extra-terrestres, dans lesquelles le moyen âge a semé à profusion la terreur et la poésie. Nous renvoyons ceux de nos lecteurs qui seroient curieux de s’éclairer sur ce sujet au beau travail de M. Labitte. (Note de l’Éditeur.)

* Charles Labitte, la Divine Comédie avant Dante, en tête de la Divine Comédie, traduction de M. Brizeux, précédée de la Vie nouvelle. Bibliothèque Charpentier.