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Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/278

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des-Arts, dont l’inutile balcon ne supportera jamais, sur son garde-fou ridicule de quelques centimètres de largeur, le noble dépôt de l’in-folio triséculaire qui a flatté les yeux de dix générations de l’aspect de sa couverture en peau de truie et de ses fermoirs de bronze ; passage profondément emblématique, à la vérité, qui conduit du château à l’Institut par un chemin qui n’est pas celui de la science. Je ne sais si je me trompe, mais l’invention de cette espèce de pont devoit être pour l’érudit une révélation flagrante de la décadence des bonnes lettres.

Voilà, dit toujours Théodore en passant sur la place du Louvre, la blanche enseigne d’un autre libraire actif et ingénieux ; elle a longtemps fait palpiter mon cœur, mais je ne l’aperçois plus sans une émotion pénible, depuis que Techener s’est avisé de faire réimprimer avec les caractères de Tastu, sur un papier éblouissant et sous un cartonnage coquet, les gothiques merveilles de Jehan Bonfons de Paris, de Jehan Mareschal de Lyon, et de Jehan de Chaney d’Avignon, bagatelles introuvables qu’il a multipliées en délicieuses contrefaçons. Le papier d’un blanc neigeux me fait horreur, mon ami, et il n’est rien que je ne lui préfère, si ce n’est ce qu’il devient quand il a reçu, sous le coup de barre d’un bourreau de pressier, l’empreinte déplorable des rêveries et des sottises de ce siècle de fer.

Théodore soupiroit de plus belle ; il alloit de mal en pis.

Nous arrivâmes ainsi dans la rue des Bons-Enfants, au riche bazar littéraire des ventes publiques de Silvestre, local honoré des savants, où se sont succédé en un quart de siècle plus d’inappréciables curiosités que n’en renferma jamais la bibliothèque des Ptolémées, qui n’a peut-être pas été brûlée par Omar, quoi qu’en disent nos radoteurs d’historiens. Jamais je n’avois vu étaler tant de splendides volumes.