Aller au contenu

Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/293

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Je vous ai déjà dit que Polichinelle étoit éternel, ou plutôt j’ai eu l’honneur de vous le rappeler en passant, l’éternité de Polichinelle étant, grâce à Dieu, de toutes les questions dogmatiques celle qui a été le moins contestée, à ma connoissance. J’ai lu du moins tous les livres de polémique religieuse que l’on a écrits depuis que l’on prend la peine d’en écrire, et je n’y ai trouvé de ma vie un seul mot qui pût mettre en doute l’indubitable éternité de Polichinelle, qui est attestée par la tradition monumentale, par la tradition écrite, et par la tradition verbale. — Pour la première, son masque a été retrouvé, saisissant de ressemblance, dans les fouilles de l’Égypte. On sait s’il est possible de se tromper sur la ressemblance du masque de Polichinelle ! et on m’assure que l’authenticité de ce portrait est au moins aussi bien démontrée que celle du testament autographe de Sésostris qu’on a dernièrement retrouvé aussi quelque part, à la grande satisfaction des gens de goût qui ne pouvoient plus se passer du testament de Sésostris. Pour la tradition écrite elle ne remonte pas tout à fait si haut, mais nous savons que Polichinelle existoit identiquement et nominativement à l’époque de la création de l’Académie, qui partage avec Polichinelle le privilège de l’immortalité, par lettres-patentes du roi. Il est vrai que Polichinelle ne fut pas de l’Académie, et qu’elle en parle même en termes un peu légers dans son Dictionnaire, mais cela s’explique naturellement par le sentiment d’aigreur que jettent des concurrences de gloire entre deux grandes notabilités. — Pour la tradition orale enfin, vous ne rencontrerez nulle part d’hommes assez vieux pour avoir vu Polichinelle plus jeune qu’il n’est aujourd’hui, et qui ait entendu parler à son bisaïeul d’un autre Polichinelle. — On a retrouvé le berceau de Jupiter dans l’île de Crète ; on n’a jamais retrouvé le berceau de Polichinelle. « L’âge adulte est l’âge des dieux, » dit Hésiode qui ne devoit pas croire au berceau de Ju-