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Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/303

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et qu’il vienne de buter, en sortant, contre le seuil de sa porte. Vous avez pour le maîtriser quelque pierre constellée ou quelque talisman sympathique, puisque vous le décidez à prendre part à votre banquet dans cette maison, qui est la seule du quartier où les hirondelles n’aient pas fait leur nid dans les travées des fenêtres et entre les solives du plafond. Tout à coup cependant son visage se rembrunit. Ne s’est-il pas assis par mégarde en face du méchant miroir de Bohême qu’un lourdaud de valet rompit, l’autre jour ; ou bien auroit-il trouvé son couvert d’argenterie en croix à côté d’une salière renversée ? Je me trompe : il est occupé d’un soin vraiment sérieux, il compte les convives un à un ; et maintenant que vous le voyez pâlir et trembler, il vient de s’assurer pour la troisième fois qu’ils étoient treize. À compter de ce moment il n’y a plus de repos pour Nyctale. Les mets les plus délicats se changent en poison sous sa main comme au festin des harpies, et il ne cherche qu’un prétexte pour sortir, quand la couronne de lumignons brûlants qui fait pencher les mèches négligées l’avertit heureusement qu’il doit recevoir aujourd’hui à son logis une visite ou un message. Il s’esquive subtilement, sans que personne ait pu deviner la cause de sa tristesse et de son impatience. Nyctale est homme de bien, de savoir et de bon conseil, dont les honnêtes gens font, état, qui s’est montré propre aux affaires, et qui se porte avec prudence et fermeté dans l’occasion, mais Nyctale est superstitieux. »

Je disois l’autre jour, en m’appuyant d’une expression de Montaigne, qu’on ne rabattroit jamais assez l’oreille des hommes du nom de la superstition, pour les forcer à comprendre qu’ils sont absurdes dans les acceptions qu’ils attachent aux mots, insensés dans le jugement qu’ils portent des idées, et plus présomptueux encore qu’ignorants. C’est cette fantaisie qui m’avoit décidé à charger d’un long commentaire l’épopée classique dont