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Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/36

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appuya sa tête sur le billot. Le bourreau cependant, excité par la bourrelle qui l’accablait de reproches, ne pouvoit plus que frapper. Le glaive brilla dans l’air comme un éclair, aux acclamations de la populace ; les jésuites, les capucins et les pénitents crièrent : Jésus ! Maria !

Le fer s’abattit, mais le coup glissa sur les cheveux d’Hélène, et ne pénétra que dans l’épaule gauche. La patiente se renversa sur le côté droit. On crut un moment qu’elle étoit morte, mais la femme du bourreau savoit qu’elle ne l’étoit pas ; elle essaya d’affermir le coutelas dans les mains tremblantes de son mari, pendant qu’Hélène se relevoit pour rapporter sa tête au poteau, et qu’une clameur furieuse courait déjà sur le Morimont ; car la sanglante impatience du peuple avoit changé d’objet, et s’étoit tournée en sympathie pour Hélène. Le fer s’abattit de nouveau, et la victime, atteinte d’une blessure plus profonde que la première, tomba sans connoissance et comme sans vie sur l’arme de l’exécuteur, qu’il avoit laissée échapper. — Ne me reprochez pas ces cruels détails, âmes sensibles qui prenez une si vive part aux infortunes du mélodrame et de la tragédie ; je ne les rapporte que pour obéir aux exigences de mon sujet, et sans dessein de les choisir ou de les aggraver. Ceci n’est, par malheur, ni de la poésie ni du roman ; ce n’est, hélas ! que de l’histoire.

Et vous verrez qu’avant de continuer j’avois besoin de quelques précautions oratoires, dans l’intérêt même du lecteur, qui doit être pressé de se dérober à ses émotions, d’en laisser de temps en temps le théâtre derrière la toile, et de se rappeler avec moi, pendant que je reprends haleine, que les événements trop réels dont je parle sont aujourd’hui comme s’ils n’avoient jamais été. L’épouvantable scène du Morimont se prolonge en effet après tant de péripéties plus épouvantables encore, que je ne sais s’il n’est pas aussi pénible d’en être l’historien