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Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/361

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excédoit, dans une proportion infinie, celui des grains de sable du désert, puisqu’il n’y avoit pas un grain de sable qui n’eût son trou, pas un trou qui n’eût sa fourmi, pas une fourmi qui n’eût son peuple. Il se demanda sans doute avec un ressentiment amer pourquoi le vainqueur des éléphants n’avoit point de pouvoir sur le plus vil des insectes de la nature ! Mais il étoit déjà trop avancé en civilisation pour être resté capable d’attacher une solution naturelle à une idée simple.

« Que me veut-elle enfin ? s’écria-t-il, cette fourmi Termès qui abuse de sa bassesse et de son obscurité pour insulter à ma juste domination sur tout ce qui respire ? que m’importe qu’elle murmure dans les retraites où elle se sauve de ma colère, et où je suis peu jaloux de la suivre ? Toutes les fois qu’elle se retrouvera sur mon chemin, je l’écraserai du talon. C’est à moi que le monde appartient. »

L’homme rentra dans son palais. Il s’endormit à la vapeur des parfums et, au chant des femmes.

La femme, c’est autre chose. C’étoit la femelle de l’homme ; une créature ingénue, vive et délicate, irritable et flexible ; un autre animal plein de charmes dans lequel l’esprit créateur avait suppléé à la force par la finesse et par la grâce, et qui caressoit l’homme sans l’aimer, parce qu’elle croyait l’aimer ; une espèce crédule et tendre que Dieu avoit déplacée à dessein de sa destinée naturelle pour éprouver jusqu’au bout son dévouement et sa pureté ; un ange tombé par excès d’amour qui achevoit son expiation dans l’alliance de l’homme, pour subir tout le malheur de sa faute. L’amour d’une femme pour un homme ; Dieu lui-même ne l’aurait pas compris ! Mais il se jouoit, dans les ironies de sa haute sagesse, des déceptions d’un cœur qu’il avoit formé à se laisser surprendre aux apparences de quelque beauté, à la foi de quelques serments, à l’espérance d’un faux bonheur.