Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/38

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Pendant que ceci s’accomplissoit, l’échafaud d’Hélène présentoit une scène plus épouvantable encore. La bourrelle avoit cherché inutilement le coutelas, — on se souvient peut-être qu’Hélène étoit tombée dessus ; — mais, en ce moment, ses ciseaux, qu’elle n’avoit pas quittés, lui revinrent en mémoire, et saisissant d’une main la corde qui nouoit le cou de cette misérable fille, de l’autre elle la frappa six fois, en la traînant à travers les huit degrés de bois et les quatre degrés de pierre, et en brisant de ses pieds, à tous les degrés qu’il frappoit de la tête, ce cadavre déjà noyé dans le sang ; quand elle fut en bas, les bouchers avoient fini leur premier ouvrage, et le peuple tua la bourrelle[1].

Je respire enfin et je crois qu’il en étoit temps pour nous tous. Heureusement voilà qu’Hélène n’est plus au Morimont, et que des bras charitables l’ont emportée à cette maison qui fait l’angle de la place, chez le bon

  1. Nous croyons devoir mettre ici sous les yeux des lecteurs la relation du supplice d’Hélène Gillet, empruntée au tome XI de ce vieux Mercure françois que Nodier a cité au commencement de ce récit, comme l’une des sources les plus importantes dans lesquelles il avoit puisé :

    « Entre les trois et quatre heures après midy, elle fut menée au Morimont, assistée de deux jésuites et deux capucins. Le bourreau, qui s’estoît communié le matin dans la prison, tremble, s’excuse au peuple sur une fièvre qui le tenoit depuis trois mois, le prie de luy pardonner où il manqueroit à son devoir. Cependant qu’on exhortoit la patiente à souffrir constamment la mort, il donne toutes les marques d’une grande inquiétude, il chancelle, il se tord les bras, il les eslève au ciel avec les yeux, il se met à genoux, se relève, puis se jette à terre, demande pardon à la patiente, puis la bénédiction aux prestres qui l’assistoient.

    « Enfin le bourreau, après avoir souhaitté d’estre en la place de la condamnée, qui tendoit le col pour recevoir le coup, il hausse le coutelas ; il se fait une huée du peuple les jésuites et les capucins crioient : jésus, maria. La patiente se doute du coup, porte les mains à son bandeau, découvre le coutelas, frissonne, puis se remet en mesme assiette qu’auparavant. Le bourreau, qui n’entendoit pas son mestier, luy pensant trancher le col, porte le coup dans l’espaule gauche : la patiente tombe sur le costé droict : le bourreau quitte son espée, se présente au peuple et demande à mourir. Le peuple s’esmeut, les pierres volent de tous costez ; la femme du bourreau, qui assistoit son mary en