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Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/50

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monde ; et j’aime mieux habiller mes livres un peu à l’étroit que de les étoffer aux dépens des autres. Et puis cette belle histoire nuiroit certainement à celle que j’écris : on ne me pardonneroit pas (et on feroit justice) de n’avoir trouvé dans une vie si pure et si glorieuse que le sujet d’une espèce de conte de fées.

Je m’en tiendrai sur ce chapitre à consigner, dans ma préface, une notion qui m’arrive aujourd’hui, et que les biographes ont mal à propos négligée. Le souvenir de l’héroïque Élisabeth Cazotte est inséparablement lié à celui de son père[1] ; mais on ne sait pas assez généralement que cet illustre vieillard a un fils vivant et digne de lui, que la restauration a oublié de convoquer aux honneurs de la pairie. Un des petits-fils de Jacques Cazotte, dont l’école Polytechnique a gardé un éclatant souvenir, est mort il y a quelques années dans la force et la beauté de son âge, au moment d’épouser une jeune personne qu’il aimoit, car le ciel n’épuise pas ses épreuves sur une seule tête dans les familles qu’il a choisies pour lui. Un autre a survécu. Si un gouvernement, plus libéral que les prétendus gouvernements représentatifs qui ont déjà surgi du chaos de nos révolutions, s’avise un jour de transporter sur des noms immortels, envers lesquels la postérité a contracté une dette imprescriptible, le moindre des honneurs politiques dont l’intrigue et l’argent seuls sont maintenant en possession, je me féliciterai de lui avoir rappelé que celui de Cazotte a un héritier.


  1. Voici ce qu’on lit à ce sujet dans la Biographie universelle :

    « On n’a pas oublié comment, dans les terribles journées des 2 et 3 septembre, lorsque Cazotte, à son tour, fut livré aux assassins, l’héroïque Elisabeth se précipita sur lui, et, faisant au vieillard un bouclier de son corps, s’écria :
    xxx« Vous n’arriverez au cœur de mon père qu’après avoir percé le mien, » Le fer, pour cette fois, tomba des mains du crime, et Cazotte et sa fille, au lieu d’être massacrés, furent portés en triomphe jusque dans leur maison ; mais ils n’y restèrent pas longtemps paisibles. » — Nous ajouterons qu’après la seconde arrestation de son père, mademoiselle Cazotte réussit à se faire autoriser à le servir dans son cachot, et qu’elle prépara avec autant d’habileté que de dévouement, non-seulement des moyens de défense, mais même des moyens d’évasion. Elle s’étoit assuré la coopération de quelques Marseillois qu’elle avoit déjà vus a l’Abbaye et qu’elle avoit intéressés par ses grâces et son courage ; mais comme sa piété filiale effrayoit le tribunal révolutionnaire, on la mit au secret.(Note de l’Éditeur.)