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Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/66

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imaginer que ce nom me soit venu à l’occasion d’un conte. C’est que ce n’est pas un conte que je vous fais ; c’est qu’Angélique rappeloit véritablement l’ange envoyé du ciel pour veiller tendrement sur tous ; et il n’y avoit rien dans son extérieur qui ne confirmât cette apparence : sa taille élancée et flexible, ses traits nobles et gracieux, son sourire grave et doux, son accent suave et flatteur comme une musique éloignée qu’on entend de nuit. Je ne serois pas étonné, en vérité, que ce souvenir prêtât quelque poésie encore à mes expressions, car tout devenoit poésie dans l’atmosphère d’Angélique, et je ne peux me rappeler mes troubles et mes ravissements de ce temps-là sans retrouver un peu du feu presque éteint de ma jeunesse et de mon enthousiasme. Cependant, l’impression qui naissoit le plus ordinairement de sa vue et de son entretien, et qui m’a fait oublier un moment le style modeste et sans apprêt du conte de la veillée, n’étoit pas de la joie. Elle laissoit au contraire à l’esprit une longue et vague tristesse qu’on éprouvoit sans l’expliquer. Je vous dirois à peine aujourd’hui même ce que c’étoit : une notion obstinée mais confuse de l’incertitude et de la fugitive rapidité du bonheur, un doute obscur mais profond comme un pressentiment, l’amertume indéfinissable qui corrompt une félicité inquiète… — Quand elle s’animoit surtout d’une subite inspiration ; quand une émotion pénétrante faisoit palpiter son sein ; quand son front, d’une éblouissante blancheur, quand ses joues se coloroient comme un nuage transparent derrière lequel passe le soleil ; quand ses paroles tremblantes et entrecoupées expiroient sur ses lèvres avec le foible bruit, avec le murmure mourant d’une harpe qui finit de résonner sous les doigts, on ressentoit l’anxiété cruelle du voyageur égaré qui voit disparoitre la lumière lointaine sur laquelle il se dirigeoit. On trembloit, oserai-je le dire ? qu’Angélique ne s’éteignit. Il y avoit si peu de chose en elle qui appartint