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Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/69

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ne l’épouserai point ! Hélas ! je ne l’épouserai point !

Je gardois le silence. Je n’éprouvai ni confusion, ni désespoir, ni étonnement. Je me sentis, au contraire, affranchi d’une anxiété importune. Cet état est difficile, peut-être impossible à concevoir comme à décrire. La réponse d’Angélique étoit extraordinaire, et je ne sais pourquoi, cependant, je l’avois devinée.

— Que dis-tu là ? s’écria M. Labrousse. Tu l’aimes, et tu ne l’épouseras point ! Que signifie ce caprice étrange ?…

— Un caprice ? répondit Angélique d’un air sombre et réfléchi… Un caprice, en effet ! Vous ne pouvez penser autre chose ! Je l’aime et je ne l’épouserai point. Mon cœur est libre, ou plutôt il est à lui ; et je lui refuse, et, je dois lui refuser ma main ! Oh ! c’est là, j’en conviens, un incompréhensible mystère… une illusion ; qui sait ? une folie ! Si je me trompois sur le motif, sur le mouvement qui me faisoit agir !… S’il étoit possible encore !… — Écoutez, écoutez, continua-t-elle avec exaltation !… Non, non, je ne décide rien ! je ne suis pas sûre de ce que je dis ! Moi aussi, j’ai besoin de bonheur, d’espérance, d’avenir ; moi aussi, je voudrois vivre ! Nous reparlerons de cela un jour, si nous sommes ici tous alors… Nous en reparlerons trois mois après la mort de madame Lebrun.

— Trois mois après la mort de madame Lebrun ! interrompit M. Labrousse avec une vivacité brusque et impatiente qui n’étoit pas naturelle à son caractère. — Trois mois après la mort de madame Lebrun ! Et je voudrais bien savoir ce que madame Lebrun peut avoir à démêler dans l’établissement de mes filles ? Que madame Lebrun vive ou meure, je n’y prends d’autre intérêt que celui qui m’est suggéré par la charité chrétienne. Extravagues-tu, mon enfant ? Qui pourroit dire quand mourra madame Lebrun ? Qui pourroit dire si elle mourra ?…

Angélique sourit.