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Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/72

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Le peuple, toujours porté à penser que la vieillesse réunit à la connoissance expérimentale du passé quelque prescience plus ou moins claire de l’avenir, a choisi la vie de madame Lebrun pour texte des romans les plus bizarres. C’est dans son sens une espèce de juif-errant femelle qui se repose, et je ne répondrois pas que les aventures qu’on lui attribue n’aient déjà été imprimées à Troyes. Quoiqu’on l’appelle communément la fée d’ivoire, à cause de l’aspect remarquable que l’âge lui a donné, et dont il n’est possible de se faire une juste idée qu’en la voyant, les uns la désignent sous le nom de la princesse d’Égypte, les autres la tiennent pour une reine détrônée de la Chine ou du Japon. Comme elle parle assez familièrement des seigneurs et des princes du temps passé, j’ai connu des gens très-convaincus qu’elle avoit autrefois régné en France, et certains vous soutiendront fermement qu’elle n’est autre que l’infortunée Marie Stuart, pour qui une de ses femmes a jadis livré sa tête aux bourreaux de Fotheringay. Tous s’accordent à lui conférer le don de divination. C’est bien le moins ; et quoiqu’elle ne soit assurément pas riche, une opinion fondée sur l’élégance encore recherchée de sa toilette, sur l’apparence de quelques bijoux échappés par hasard aux revers de sa fortune, et sur la libéralité des aumônes, qui sont, à la vérité, sa principale dépense, lui prête, avec tout autant de fondement, le secret de la pierre philosophale. Il semble même qu’elle prenne plaisir à entretenir ces ridicules suppositions par des singularités fort étranges de langage, de manières et de conduite. Je vous en citerai une seule, parce que nous ne sommes pas éloignés du moment où il en sera question ici. Vous venez d’apprendre de ma bouche qu’elle n’avoit de fréquentation habituelle qu’avec nous ; et cependant, au retour de chaque année, elle s’absente régulièrement un mois durant, sans qu’on sache aucunement ce qu’elle devient alors. Le 1er janvier, après avoir été fort exacte