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Page:Normandy-Poinsot - Les Poètes sociaux.djvu/52

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MAURICE BOUCHOR

LE PAIN

Ô pain des hommes, fruit merveilleux de la terre !
Depuis que le semeur pensif et solitaire
            Aux noirs sillons t’a confié,
Par quel tenace effort, grain de blé, puis brin d’herbe,
Jeune épi, mûr enfin pour la faux et la gerbe,
            As-tu si bien fructifié !

Par quel âpre vouloir, germe visible à peine,
Qui rêvais enfoui dans le sol de la plaine,
            As-tu jailli vers le ciel bleu,
Gonflé de tous les sucs de la glèbe féconde,
Pour devenir, un jour, ce pain à croûte blonde,
            Doré par le baiser du feu !

Pour que fût accompli ce magnifique ouvrage,
Il a fallu que l’homme ajoutât son courage
            À la patience du champ,
Que l’ardeur du soleil et la fraîche rosée,
L’air du ciel pénétrant sous la terre brisée,
            Vinssent en aide au soc tranchant.

Pour que le grain naquît de la chétive graine,
Il a fallu des bœufs que l’énergie humaine
            Eût dressés au rude labeur,
L’infatigable faux, la meule qui se hâte,
L’eau, le sel, le levain frémissant dans la pâte,
            Le rouge embrasement du four !...

Fait par tous et pour tous, dis-nous, ô pain des hommes !
Qu’il serait temps de vivre en frères que nous sommes,
            Las enfin de nous égorger ;
Inspire-nous l'horreur de la lutte farouche
Où nous nous arrachons les morceaux de la bouche
            Au lieu d’apprendre à partager !