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Page:Nouvelles de Batacchi, (édition Liseux) 1880-1882.djvu/423

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DES ROIS


Le page l’avait soufflée, après avoir caché
Son manteau, sa robe de chambre et son bonnet ;
Barbagrazia s’avance avec précaution
À la lueur que répand la lampe du salon ;
Notre encorneur, au lit avec son compagnon,
Fait semblant d’être plongé dans un profond sommeil.

« Diable ! qu’est-ce que cela ? » dit alors
Le Roi, « qui donc m’a fait les cornes ?
» Est-il possible que ma femme se soit trompée ?
» Qu’un songe… ? Eh ! foutre ! un songe ! Je ne suis pas fou,
» J’ai des cornes si longues que, bien que neuves,
» Elles défonceraient le cul de Jupiter à la grande barbe ! »

Il lui vint ensuite cette pensée, que quelqu’un pouvait
Simuler le sommeil et avoir fait le tour,
Et il dit : « S’il en est ainsi,
» Il est impossible que le cœur ne lui batte pas ;
» Un homme qui a fait cocu un gaillard comme moi
» Ne peut, pardieu ! pas dormir tranquille ! »

Presque à tâtons il alla près du lit
Et mit à chaque dormeur la main sur la poitrine,
Espérant parvenir à deviner ainsi
Et à découvrir l’auteur du méfait.
Mais sur chacun il lui sembla reconnaître un signe
Qui le dénonçait comme coupable de ce crime infâme.

Les camarades de chambrée du page avaient bu
À ce point qu’ils ne tenaient plus la tête droite :
Le sang, dont la force s’était trop accrue,
Donnait à leurs régions précordiales une violente agitation,
Et, au cœur de notre héros, l’excès de frayeur
Causait des palpitations contre nature.