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Page:Octave Mirbeau - Dingo - Fasquelle 1913.djvu/355

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— Ça me fait du tort, vous comprenez !… Faut bien, dans ma position, que je dise, que je fasse comme tout le monde. Sans ça… quoi ?

Je n’oublierai jamais son regard humble, touchant, d’esclave, quand il me dit :

— Sans ça… je n’aurais plus de considération dans le pays !

J’en aurais pleuré de pitié.

J’étais donc parti sans regrets et même avec un sentiment de soulagement, de délivrance. Les premiers jours, il me sembla que je goûtais, comme après une maladie, les joies infiniment douces d’une convalescence. Je sus gré à Dingo de m’avoir révélé la nécessité de ce départ, d’en avoir hâté, même au prix d’un dur sacrifice d’argent, la résolution définitive.

Et puis, dois-je l’avouer ?… au fond de moi-même je découvris, non sans une certaine mélancolie d’ailleurs, que ses crimes ne m’indignaient pas comme il eût fallu. Le soir, à table, chez des amis, j’aimais à conter ce que j’appelais ses fredaines, indulgemment et même avec un certain orgueil. Pour un peu, la chaleur de la conversation aidant, je les eusse volontiers prises à mon compte.

Était-ce parce que Dingo m’avait vengé de cette haine, que j’avais subie si longtemps ? Je n’en sais rien… Mais non… je crois qu’il y avait autre