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Page:Otlet - Problèmes internationaux et la guerre.djvu/164

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et il y a autant de civilisations que de sociétés. La civilisation est un certain état déterminé, présentant à un degré de plus en plus haut des caractères particuliers : des institutions politiques et administratives, une fortune publique, quelque culture littéraire, artistique, scientifique, une indépendance relative de la société vis-à-vis de la nature, des individus vis-à-vis des autres, enfin un développement continu, une marche en avant dans l’ordre économique, intellectuel, moral. L’idée de progrès est inséparable de celle de civilisation. L’homme civilisé est celui qui regarde vers l’avenir, tandis que le barbare vit au jour le jour, absorbé par le présent et ne prévoyant pas.

2. Mesure de la civilisation. — La civilisation a deux facteurs, l’un matériel (conditions économiques), l’autre intellectuel et moral (culture)[1]. La croissance de l’un et de l’autre est nécessaire, sinon il n’y a plus progrès mais décadence. La civilisation universelle a atteint un certain étiage : elle est faite d’un minimum d’idées, de coutumes, d’institutions, de services publics, d’appropriations matérielles du territoire. Elle est à une certaine hauteur de l’échelle des possibilités, des réalisations humaines ; elle a des degrés inférieurs et supérieurs[2]. On entrevoit le moment où les études sociologiques dans les divers domaines seront assez avancées, assez précises, pour qu’il devienne possible d’établir une mesure de civilisation. Il s’agirait d’établir un étalon de civilisation à divers degrés et de comparer à cet étalon les diverses civilisations étudiées. On pourrait dire ainsi non seulement quel est le peuple le plus civilisé, mais encore à quel moment de son histoire il le fut davantage, et en lesquels de ses éléments il l’est plus que dans d’autres[3].

3. Caractère de notre civilisation. — L’homme a parcouru les étapes des diverses civilisations, nomade, agricole, guerrière, industrielle. La civilisation actuelle a des caractères distinctifs : Dissolution des idées qui soutenaient l’esclavage ; position absolue occupée par les classes possédantes dans l’État ; prédominance du pouvoir civil sur le pouvoir religieux ; développement de l’idée qu’il n’y a nul pouvoir ni opinion dans l’État qui puisse être considéré comme le représentant de la vérité absolue ; développement consécutif du gouvernement de parti avec les droits de contrôle pour tous ; égalité de naissance des hommes ; droit de vote égal dans l’État ; distribution de la richesse tendant à

  1. Karl Marx a surtout mis en lumière l’influence des facteurs matériels. Buckle celle des facteurs intellectuels et moraux.
  2. Nos lois nationales supposent aussi l’existence d’un tel minimum. Elles le visent quand elles veulent par exemple que les libres conventions ne soient contraires ni aux lois, aux bonnes mœurs, ni à l’ordre public. Ces trois termes impliquent les conditions générales de la société en dessous desquelles il n’est pas permis de vivre.
  3. Guizot, Histoire de la civilisation européenne, (1828-1830).