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Page:Otlet - Problèmes internationaux et la guerre.djvu/333

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fondement, il faut reconnaître cependant qu’aucune n’en a apporté la démonstration claire et complète. La difficulté est accrue aux époques comme les nôtres où toutes les règles de la morale sont mises en question, non seulement dans les débats entre les diverses écoles philosophiques, mais aussi dans la conscience de chaque citoyen, depuis qu’il n’y a plus de principes généralement admis auxquels la plupart des hommes les rattachent. En effet, les anciennes morales spiritualistes basées sur la conception d’un bien absolu, qui serait le but et la raison d’être de l’homme, ont perdu toute autorité.

3. Rapportons ici quelques opinions sur les fondements de la morale. Pour Izoulet : « La vieille morale est irrévocablement condamnée, la vieille morale des sanctions strictement individuelles, la vieille morale des destins séparés, du chacun pour soi. Tous pour un, un pour tous est la formule qui marque les passages de l’insolidarité à la solidarité. C’est l’instinctive affirmation d’une vérité scientifique et positive, l’instinct que la société est une association, c’est-à-dire un organisme, un corps, un système enfin où tout se tient. » — Pour Marion : « L’organisation d’un tout, consistant essentiellement dans le concensus des parties, les individus qui viennent à former un groupe coordonné, unifié, deviennent par cela seul étroitement solidaires. Pas un ne peut péricliter sans dommage pour tous. C’est le caractère propre d’un tout organique d’être immédiatement intéressé à tout ce qui survient en ses moindres parties. Comme il n’y a aucun point mort, ni qui soit sans liaison avec tout le reste, rien ne se passe nulle part qui, tôt ou tard, ne retentisse partout[1]. » – Lévy Bruhl s’efforce de remplacer la recherche des fondements de la morale par une science expérimentale des mœurs. Pour lui, les habitudes établies dans telles ou telles sociétés sont les seules réalités, et le bien et le mal sont simplement ce que l’opinion commune résultant de ces habitudes jugent bon ou mauvais. La science des mœurs n’a d’autre objet que d’établir, au moyen de l’observation et des documents historiques, les lois suivants lesquelles les mœurs se modifient, comme la physique et la chimie étudient les lois de la succession des phénomènes naturels. — Guyau conçoit la possibilité d’une morale sans contrainte. — « La sociologie et la morale, dit G. Renard, ont chacune leur hypothèse sur la nature du fait social et de la société. La sociologie construit son hypothèse en cherchant l’explicabilité des faits ; la morale construit la sienne au point de vue de l’action. Il n’est pas nécessaire que ces hypothèses soient identiques : il suffit qu’elles ne soient pas contradictoires. Pour la sociologie le fait moral élémentaire est une interaction d’esprit, qui se conserve et se développe pour certaines conditions naturelles et historiques ; pour la morale c’est un accord entre volontés, et la société a pour loi de tendre

  1. Marion, « De la solidarité morale », II, 5, 244.