Page:Otlet - Problèmes internationaux et la guerre.djvu/342

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principe de la politique extérieure aussi bien que celui de la législation interne. Dans la société des États comme dans celle des individus, celui qui tient à l’estime des autres détermine ses actes par la fidélité aux engagements qu’il a pris. Que ce chemin de l’honneur et de la probité soit rarement le plus court, mais qu’il demeure le plus sûr et devienne avec le temps le plus profitable, c’est ce que Tocqueville a déjà si bien montré en étudiant les rapports de la morale et de la politique. Et Durkheim de son côté ajoute : « Il y a des forces morales qui s’imposent également, quoique à un autre titre et d’une autre manière, aux peuples et aux individus. Il n’y a pas d’État qui soit assez puissant pour pouvoir gouverner éternellement contre des sujets et les contraindre par une pure coercition externe à subir ses volontés. Il n’y a pas d’État qui ne soit plongé dans le milieu le plus vaste formé par l’ensemble des autres États, c’est-à-dire qui ne fasse partie de la grande communauté humaine et qui n’en soit sujet à quelques égards. Il y a une conscience universelle et une opinion du monde à l’empire desquelles on ne peut pas plus se soustraire qu’à l’empire des lois physiques ; car ce sont des forces qui, quand elles sont froissées, réagissent contre ceux qui les offensent. Un État ne peut pas se maintenir quand il a l’humanité contre soi[1] ». Il n’y aura de rapports sûrs et stables entre les États que s’ils se reconnaissent tenus à agir selon la morale en même temps que liés entr’eux par un système de droit[2].

5. Il faut distinguer d’une part l’autorité morale des règles internationales, d’autre part les institutions positives de droit international. « Les pays neutres, dit Romain Rolland, auront pour premier devoir de provoquer la formation d’une Haute Cour morale, d’un tribunal de consciences, qui veille et qui prononce sur toutes les violations faites au droit des gens, d’où qu’elles viennent, est-ce là une simple figure de langage, ou une institution de cette nature serait-elle réellement possible et utile ? Il serait un peu puéril de s’y fier exclusivement pour s’opposer efficacement aux brutalités de la force ; mais pour renforcer d’autres institutions et donner satisfaction aux besoins de moralité et de justice des peuples, il y aurait un effort digne du temps présent de tenter l’établissement d’une telle institution. Ses membres pourraient être désignés par les soins des grandes associations internationales poursuivant des buts de morale. Une telle Haute Cour déciderait d’une manière indépendante de toute institution juridique internationale, mais en s’aidant des actes de celle-ci. Elle statuerait sur la moralité de la conduite des États, domaine bien plus strict que le droit positif ; elle contribuerait ainsi à définir les principes de cette

  1. E. Durkheim, Deutschland über alles, page 45.
  2. Kant, Éléments de métaphysique de la doctrine du Droit. (Notamment l’appendice : sur l’opposition de la morale et de la politique au sujet de la paix perpétuelle.)