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Page:Otlet - Traité de documentation, 1934.djvu/101

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LE LIVRE ET LE DOCUMENT

b) Le deuxième ordre de degré est relatif à l’état mental de ceux auxquels s’adresse le document (âge, formation scolaire, classe souche, spécialiste). On distingue ici les degrés préparatoire, élémentaire, moyen, supérieur, spécial. (Voir no 155.)

Dans un travail déterminé, il faut savoir se limiter.

Il faut distinguer l’exposé complet (traité, encyclopédie) de l’exposé particulier (ouvrage, article).

Un exposé complet n’est pas toujours nécessaire ni désirable.

Un exposé particulier a un but, une occasion. Place doit lui être faite à côté de l’exposé complet.

En remontant jusqu’à la source, il y a lieu de se demander ce qu’il faut documentaliser. On répondra : tout ce qui a trait aux questions dont l’ensemble constitue la structure de la science envisagée, ou tous les faits importants, noyés aux yeux d’un témoin non prévenu dans la masse des faits accessoires.

En principe cependant, un livre scientifique doit être complet (complétude). Même un livre ayant en vue les études premières, celles dont tout le reste découle, doit comprendre à la fois l’exposition des éléments et celle des théories qui s’en dégagent. D’ailleurs la définition entre les uns et les autres est souvent similaire.

Il semble aussi qu’il faille distinguer trois sortes d’esprit auxquels correspondent trois sortes d’ouvrages : a) pour les analystes, spécialistes, la monographie descriptive ; b) pour les systématiques, universalistes, le traité ; c) pour les synthétistes, théoriciens, l’exposé théorique.

La matière est présentée dans trois espèces d’exposé :

1o Exposé littéraire : pittoresque, narratif, successif, simultané (impressions esthétiques et appels au sentiment).

2o Exposé personnel : visant un lecteur ou une catégorie de lecteurs (ad hominen), ne traitant pas ce qu’on sait qu’ils connaissent déjà. La lettre est le type de ces exposés.

3o Exposé systématique : objectif, didactique, la matière présentée pour elle-même et complètement, sans égard à la catégorie de lecteurs ni à l’impression esthétique.

À un autre point de vue, il y a deux grandes catégories d’écrits. Les écrits destinés à faire avancer la science (contenant des faits scientifiques nouveaux). Les écrits destinés à vulgariser et répandre la science. Parallèles à la publication dite scientifique.

Il y a lieu de laisser l’érudition à la portée de ceux qui ont le désir de savoir, le désir de s’instruire, qui ont le goût de la nature, de l’art, des choses vraies, utiles ou belles.

En général, la vulgarisation scientifique est impossible pour qui ne participe pas lui-même à l’édification de la science. Il importe de porter d’emblée au cœur des problèmes soulevés et de présenter l’explication nette exigeant du lecteur l’effort qu’on est en droit d’attendre de lui. « Autrement, il n’y a que délayage de l’ensemble des vérités acquises à l’état de douceur mielleuse ».

(Edgard Heuchamp.)

Le Scientific American a ouvert un concours destiné à récompenser l’auteur qui saura le mieux, en moins de 3,000 mots anglais, exposer d’une manière claire et non technique la théorie d’Einstein. L’Illustration (Paris), à son tour, a publié un exposé complet sans un seul mot technique, dû à M. Charles Nordmann (28 mai 1921).

c) Le troisième ordre de degré se rapporte à la complexité des données : a) manière d’incorporer dans une rédaction un fait ou une idée simple ; b) manière de combiner un nombre de données dans un ensemble : un ouvrage ; c) manière de combiner dans un ensemble divers ouvrages ; d) manière de concevoir la combinaison les uns avec les autres de l’ensemble des ouvrages.

224.4 Le Plan.

Un livre, a dit Taine, est une subordination de rapports généraux à un rapport particulier.

Le Plan est à la base de tout exposé systématique (scientifique, didactique). Il consiste essentiellement en classification et ordre mis dans les idées (voir Classification sous no 412.3). La difficulté provient d’une part de la complexité des sujets traités et de la multiplicité des points de vue sous lesquels ils peuvent être envisagés ; d’autre part de l’entrecroisement constant de ces points de vue. Le plan a pour but d’apporter ordre où il y aurait confusion et enmêle. Toute chose considérée (être, phénomène, événement, question) se présente dans un complexe d’autres choses : corrélation, répercussion, enchaînement de causes et d’effets. Tout document y relatif participe à la même complexité et le plus petit exposé traite de points secondaires en même temps que du point principal. En conséquence on y trouve forcément des données que ne révèle pas son titre, expression du sujet principal, ce qui dans les opérations du classement et de la catalographie entraîne à une pluralité d’indices et de notices.

« Le problème fondamental, dit Bouasse, se pose : Comment distribuer les matériaux ? En série. Le choix des séries est subordonné à la condition de n’introduire les idées que (le plus possible) les unes après les autres, au fur et à mesure des besoins, de manière que le lecteur se familiarise immédiatement avec elles sans risque de les confondre. Le choix des séries est encore subordonné (dans les sciences) à la facilité plus ou moins grande de se représenter matériellement les théories et de les illustrer par des expériences. »

Dans un livre bien construit, on aperçoit le squelette qui forme le support de l’argumentation générale et qui montre son harmonie et sa consistance. C’est tout l’opposé de ce que recommandent les rhétoriciens de masquer le squelette par l’art des transitions insensibles.