Aller au contenu

Page:Otlet - Traité de documentation, 1934.djvu/182

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
241
179
DOCUMENTS BIBLIOGRAPHIQUES

Par la transmission, par la reproduction des œuvres particulières de chaque peuple chez les autres peuples, une véritable communion spirituelle pourra s’établir entre toutes les parties de l’Humanité.

2. Historique.

On a traduit de tous temps, surtout aux époques passées, alors que l’étude des langues était moins poussée. Ptolémée Philadelphe fit traduire en grec pour les propos de la Bibliothèque alexandrine un nombre apparemment immense d’ouvrages apportés, dit-on, de tous les pays du monde. Il faut faire une mention spéciale aux traducteurs juifs, qui ont joué un rôle important, mais obscur, comme intermédiaires intellectuels pendant tout le moyen âge. Certains ont traduit en arabe des ouvrages grecs, ou en hébreu des ouvrages arabes et syriaques qui eux-mêmes reproduisaient souvent les originaux grecs, les versions hébraïques ont été ensuite traduites à leur tour en latin, et c’est par cette voie qu’une partie des ouvrages d’Aristote, d’Avicenne, d’Averroès, plusieurs auteurs techniques de l’antiquité paraissent être parvenus à la connaissance de l’Europe occidentale. Sous la dynastie des Han, en Chine, les livres boudhiques apportés de l’Inde sont officiellement traduits. Avec les dernières éditions, la Bible est traduite maintenant en 886 langues ou dialectes.

3. Traductions caractéristiques.

Il est des traductions célèbres ou caractéristiques. La Version des Septante (la Bible traduite en grec), la Vulgate (la Bible traduite en latin), la traduction d’Aristote au moyen âge. La traduction par Delille des Georgiques de Virgile, le Paradis perdu de Milton traduit par Chateaubriand, la Divine Comédie de Dante traduit par Lamennais ; L’Iliade d’Homère par Lecomte de Lisle, la traduction de Shakespeare, par François Victor Hugo.

Les Éditions Montaigne (Paris) publient la collection « Les chefs d’œuvre de la littérature allemande », texte de l’œuvre et traduction en regard, chaque ouvrage contenant une étude approfondie sur l’auteur, ainsi que sur la genèse et les sources de l’œuvre. À la fin du volume des notes.

4. Dispositions typographiques de la traduction.

On a donné divers dispositifs aux traductions. Traduction juxtalinéaire, éventuellement en deux couleurs. Traduction en note, au pied des pages. Publication en double texte placé en regard.[1] Traduction en publication séparée (partie du maître, partie des élèves, ou partie des devoirs corrigés).

5. Difficultés de la Traduction.

La traduction offre quatre espèces de difficultés :

1° La connaissance des langues, de la part du traducteur.

2° L’absence de mots, de tours de phrases pour rendre l’équivalent d’une langue dans une autre sans rien affaiblir ni modifier des effets, des couleurs, des nuances.

3° L’effort pour fixer ce quelque chose de presque insaisissable et pourtant essentiel, ce souffle dont l’esprit de l’auteur pénètre l’œuvre entière qui lui donne la vie, le mouvement, l’individualité et peut être comparé au principe vital dans les corps organisés.

4° L’obstacle qu’oppose aux équivalences les différences de sentiments, de mœurs et d’idées qui produisent les différences de siècles, de races, de climats.

Que de difficultés pour bien traduire : les contresens, les traductions inexpressives, incomplètes. Les faux amis ou les trahisons du vocabulaire anglais, de Koessler et Derocquigny en disent long à ce sujet, et le compte rendu qu’en a donné F. Boillot y ajoute : (French Quaterly Vol. X, N° 4. p. 2). Chaque mot a une histoire. Les mots se présentent enveloppés d’une atmosphère due aux associations d’idées qui d’habitude les accompagnent et qu’une traduction littérale, pourtant la seule bonne, est impuissante à rendre. Les mots n’ont pas le même sens dans les diverses professions. Les aubergistes sont redoutables.

Les mots appartiennent aussi à des classes sociales, comme les individus, et la confusion des classes est fort déplacée dans le langage. Il se produit souvent une sorte de décalages entre lesquels évoluent les mots de même structure en français et en anglais. Ce décalage affecte leur valeur intellectuelle, morale ou sociale, séparément ou simultanément.

Gare aux métamorphoses. Elles ont un degré d’usure, c’est-à-dire une puissance d’évocation difficile à reconnaître pour un étranger. Un ouvrage traduit représente toujours une somme d’erreurs, d’ambiguités et d’inexprimés.

Traduttore, traditore, dit le proverbe italien. Montesquieu a dit : « Les traductions sont comme ces monnaies de cuivre qui ont bien la même valeur qu’une pièce d’or et même sont d’un plus grand usage pour le peuple ; mais elles sont toujours faibles et de mauvais aloi ». Mme de Sévigné a comparé les traducteurs à des domestiques qui vont faire un message de la part de leur maître et qui disent le contraire de ce qu’on leur a ordonné.

Les bévues des traducteurs ont été énormes. « Crocodilos » lézard, a été traduit par Crocodile, la ville de Corfinium est devenue un capitaine Corfinium ; « Omnis bonus liber », L’homme de bien est libre, a été transcrit : tout livre par quelque endroit est toujours bon. Il est, a-t-on traduit, plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume

  1. Voir par exemple « Formation de la Houille », par le Prof Potomé, traduit par le R. P. Gaspar Schmitz S. J.